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La naissance du Fani Maoré
Depuis 2018, la France compte un nouveau volcan ! Une naissance dans l’océan Indien, par 3 500 mètres de fond, qui serait peut-être passée inaperçue si elle ne s’était pas manifestée par de nombreuses secousses à Mayotte. Il s’agit pourtant d’un beau bébé : avec 800 mètres de haut et 6,5 kilomètres cubes de lave, c’est la plus grande éruption effusive depuis 1783.
Mayotte fait partie (géographiquement) de l’archipel des Comores, aux côtés d’Anjouan, de Grande Comore et de Mohéli. Les quatre îles volcaniques s’étirent dans le canal du Mozambique, entre l’Afrique et Madagascar. L’origine du volcanisme de cette région n’est pas complètement élucidée et fait toujours l’objet de recherches. Toutefois, de récents travaux suggèrent l’existence d’une micro-plaque tectonique, baptisée Lwandle, au sud de l’archipel, qui serait en train de se séparer de la plaque somalienne au nord selon un mouvement dextre. Les îles, situées à l’aplomb de cette faille transformante reliant le nord de Madagascar au rift est-africain, seraient nées de cette activité volcano-tectonique. L’âge de cette activité est encore mal connu. Jusqu’à récemment, on pensait que seule Grande Comore était active, avec La Grille et le Karthala, ses deux volcans boucliers. Mais en 2022, des datations ont considérablement rajeuni le volcanisme d’Anjouan, avec même des éruptions d’âge Holocène[1]. L’île doit donc être considérée comme potentiellement active. Quant à Mayotte, les géologues s’accordent pour dire qu’il s’agit de la plus ancienne de l’archipel : son récif corallien bien développé est là pour en témoigner (photo ci-dessous). Elle présente néanmoins quelques structures d’aspect récent, notamment des cratères de maars sur Petite-Terre. Mais c’est à 50 kilomètres à l’est des côtes mahoraises, par 3 500 mètres de profondeur, qu’un nouveau volcan est né en 2018… Cette éruption a fait l’objet de très nombreux travaux ; en 2022, l’Académie des sciences lui a consacré un volume entier de ses Comptes rendus (plus de 400 pages !). Sans prétendre en faire la synthèse en quelques pages, voyons quelques-uns des principaux résultats de ces recherches.

Crise sismique
Comme souvent, tout a débuté par une crise sismique, avec un premier événement ressenti le 10 mai 2018, suivi de beaucoup d’autres. Durant le premier mois, pas moins de 30 secousses quotidiennes sont enregistrées en moyenne, dont une de magnitude supérieure à 5 chaque jour. De quoi mettre les nerfs des habitants à rude épreuve. (Nous n’allons pas revenir sur l’aspect humain de la crise ni sur sa gestion dans cet article, seulement sur ses aspects scientifiques.) À partir de juin la sismicité chute (4 secousses par jour en moyenne, puis 2 en juillet), mais elle remonte en intensité le 18 août, et ce jusqu’à fin septembre, avant de décroître à nouveau. À l’époque, cette situation inédite surprend tout le monde, et Mayotte n’est pas vraiment équipée pour suivre cette sismicité et l’analyser avec précision. Un réseau se met progressivement en place afin comprendre les événements. En localisant les tremblements de terre, les sismologues identifient différents clusters (groupes), situés à des coordonnées mais aussi des profondeurs différentes. L’analyse de ces données[2] a permis d’établir le scénario suivant :
– La première phase (sismicité intense) correspond à l’ouverture d’un dyke depuis un réservoir magmatique profond (plus de 40 km), situé à 20 km à l’est de Mayotte, jusqu’à une région de profondeur intermédiaire (30 km) située à 50 km à l’est de l’île. La migration du magma vers la surface ne se fait donc pas seulement selon l’axe vertical ; elle comprend une composante horizontale, avec une direction sud-est qui correspond aux structures tectoniques régionales.
– La migration vers le haut se poursuit en juin, mais avec une sismicité moins prononcée. Les chercheurs suggèrent que cette propagation s’effectue dans un milieu déjà fracturé, peut-être le long de conduits existants.
– À partir de juillet, la faible sismicité indique que le conduit est ouvert jusqu’à la surface (sous-marine), où le magma peut s’écouler librement après un parcours de deux mois à travers le manteau supérieur puis la croûte océanique. L’éruption a véritablement débuté.
– Enfin, lors des dernières phases, l’activité est concentrée autour d’un cluster dit proximal, localisé à 0–20 km à l’est des côtes mahoraises, et à une profondeur allant de 20 à 45 km. Cette sismicité est interprétée comme résultant de l’effondrement progressif d’un « piston » au-dessus du réservoir profond au fur et à mesure de la vidange d’une grande quantité de magma. Car sous les flots, c’est un édifice considérable qui est en train d’être érigé par cette activité…

Un scénario complexe
Pendant que ces événements sismiques ont lieu, la communauté scientifique s’active à Mayotte, à La Réunion, en métropole… Une série de campagnes océanographiques est financée, associant l’Ifremer, le Bureau de recherches géologiques et minières, l’Institut de physique du globe de Paris, le CNRS, ainsi que des universités partenaires (Strasbourg, La Réunion, Clermont Auvergne). Le navire océanographique Pourquoi pas ?, mais aussi le Marion Dufresne (navire ravitailleur des Terres australes et antarctiques françaises) et d’autres, ont effectué à ce jour une trentaine de missions baptisée MAYOBS. Au cours de ces campagnes, une batterie d’appareils permettent de collecter des données : bathymétrie (topographie du fond marin) ; structure du sous-sol grâce à la réflexion sismique (kīpuka #5, p. 13) ; analyse des fluides géothermiques ; imagerie capturée par sous-marin autonome… Sans oublier un échantillonnage par dragage, qui a permis de remonter des centaines de kilogrammes de roches fraîchement émises par le nouveau volcan.

CC BY Puzenat et al. (2022).
Côté bathymétrie, les données ont permis de constater l’ampleur de l’éruption : le nouveau mont sous-marin, construit par 3 500 mètres de fond, mesure 5 kilomètres de diamètre et 820 mètres de haut ! Avec un volume estimé de 6,5 kilomètres cubes, il s’agit de l’éruption effusive la plus importante depuis celle du Laki en 1783–1784 (14 km3). Les premières campagnes ont d’ailleurs eu lieu pendant que l’éruption se poursuivait : lors de la campagne MAYOBS4, en juillet 2019, le gros de l’édifice volcanique était déjà en place, mais la cartographie du fond océanique a dévoilé la présence d’une coulée de lave absente lors du précédent relevé. Mais ce n’était pas la seule surprise qui attendait les scientifiques. En cartographiant la zone[3], ils ont identifié de nombreuses autres traces d’activité volcanique (carte ci-dessus). Une structure en fer à cheval (Horseshoe) est interprétée comme le reste d’un ancien volcan effondré. Un peu au nord se trouve une dépression, bordée à l’ouest par des failles et canyons, qui pourrait être le bord d’une ancienne caldeira. Une hypothèse corroborée par la présence d’un groupe circulaire de sept cônes (The Crown) dans la dépression, une caractéristique que l’on retrouve fréquemment dans les caldeiras. En fait, c’est toute la région entre ces structures et le Fani Maoré qui est constellée de cônes volcaniques et de coulées ! Une découverte qui prouve que cette région a connu une activité éruptive relativement récente.

Grâce à la réflexion sismique, une équipe a aussi pu reconstituer la structure de la croûte océanique située sous le volcan[4]. Ces données montrent que le nouvel édifice est construit sur une couche sédimentaire de 140 mètres d’épaisseur, qui suggère une période de quiescence avant les événements de 2018. En revanche, sous ces sédiments se trouve une couche volcanique massive (un kilomètre d’épaisseur environ), construite en plusieurs phases et qui correspondrait à l’édification initiale de Mayotte. En dessous, on trouve encore une épaisse couche de sédiments avant d’atteindre le haut de la croûte. Cette couche est traversée par des structures appelées seal bypass systems par les sismologues (figure ci-dessus), c’est-à-dire des zones qui autorisent la migration verticale de fluides. Quant aux roches prélevées, elles racontent également une histoire intéressante (figure ci-dessous). Les analyses pétrologiques et géochimiques montrent qu’un magma basanitique est d’abord remonté directement depuis le réservoir profond (phase 1). Dans un deuxième temps, à partir de mai 2019, il a suivi un nouveau conduit où il a rencontré un réservoir inactif contenant un magma tephri-phonolitique. Les produits de cette phase 2 présentent des traces de mélange entre les deux magmas. Ce mélange change de chemin en août 2019 (phase 3a). La fin de l’éruption, à partir d’octobre 2020 (phase 3b), est caractérisée par un retour des laves ayant la composition du premier magma, sans doute après épuisement du réservoir intermédiaire. La synthèse de toutes ces données permet aujourd’hui à la communauté volcanologique de s’accorder sur un scénario qui n’est pas sans rappeler l’éruption du Bárðarbunga (Islande) en 2014–2015. Lors de cet épisode, le magma avait migré latéralement sur 48 km avant de faire surface, tandis que la caldeira, située à l’aplomb du réservoir vidangé, s’affaissait lentement. L’analogie a ses limites, car les profondeurs considérées sont totalement différentes (moins de 10 kilomètres pour le volcan islandais). L’enracinement profond – mantellique – du Fani Maoré est assez unique dans les annales volcanologiques modernes.

Un volcan désormais sous haute surveillance
L’éruption du Fani Maoré a généré une prise de conscience : oui, la région est bien volcaniquement active. On peut dire que pour cette fois, Mayotte s’en est bien sortie, avec une éruption effusive et exclusivement sous-marine à une distance relativement lointaine de ses côtes. Une remontée de magma directement sous les terres, où il aurait pu rencontrer de l’eau souterraine et exploser, aurait été autrement plus dramatique. L’île a cependant été impactée par les séismes : elle s’est déplacée vers l’est et enfoncée de 19 centimètres ! Et une future activité sous-marine pourrait tout de même présenter des risques, comme la génération d’un tsunami par exemple. Tout cela fait que le territoire mahorais dispose désormais d’une structure dédiée à l’observation de l’activité tellurique : le réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte (REVOSIMA, voir kīpuka #8, p. 15). Il s’agit du quatrième observatoire volcanologique français, aux côtés de ceux déjà existants au Piton de la Fournaise, à la Soufrière et à la montagne Pelée. De nombreux paramètres sont scrutés, tels que les gaz qui s’échappent du lac Dziani Dzaha, sur Petite-Terre, qui montrent une connexion avec le système magmatique et peuvent donc servir à analyser les processus ayant lieu en profondeur. Bref, Mayotte est désormais parée à affronter une nouvelle crise volcanique. Mais l’île venant d’être durement frappée par le cyclone Chido, espérons que le Fani Maoré lui laissera un peu de répit avant de se manifester… ■
Comment baptiser le nouveau volcan ?
Quand on cherche l’origine du nom Fani Maoré, peu de sources émergent… On trouve toutefois mention, sur le site de la chaîne de télévision publique Mayotte La 1ère, d’un concours lancé par la préfecture auprès des écoles élémentaires et des collèges afin de baptiser le volcan. En fouillant un peu, on trouve même un communiqué du préfet, daté de juillet 2019, annonçant les dix noms présélectionnés qui seront soumis au vote. Parmi eux : Adzalwa (« il est né »), Tsiyo (« le voilà »), ou encore Dzaha Latru (« notre volcan »)… mais point de Fani Maoré ! Nous n’avons pas réussi à déterminer ce qu’il est advenu du concours. C’est finalement en 2022 que le nom Fani Maoré apparaît et s’impose, sur une décision du conseil départemental, toujours selon Mayotte la 1ère. Il signifie « chef de Mayotte ». Signalons, à tout hasard, que la France dispose d’une commission nationale de toponymie…
Article issu de kīpuka #9, texte diffusé sous licence CC BY-NC-ND.
Références
[1] Quidelleur X, Michon L, Famin V, Geffray MC, Danišík M, Gardiner N, et al., 2022. Holocene volcanic activity in Anjouan Island (Comoros archipelago) revealed by new Cassignol-Gillot groundmass K–Ar and 14C ages. Quaternary Geochronology 67, doi:10.1016/j.quageo.2021.101236
[2] Mercury N, Lemoine A, Doubre C, Bertil D, Van Der Woerd J, Hoste-Colomer R, et al., 2022. Onset of a submarine eruption east of Mayotte, Comoros archipelago: the first ten months seismicity of the seismovolcanic sequence (2018–2019). Comptes Rendus Géoscience 354, doi:10.5802/crgeos.191
[3] Puzenat V, Feuillet N, Komorowski JC, Escartín J, Deplus C, Bachèlery P, et al., 2022. Volcano-tectonic structures of Mayotte’s upper submarine slope: insights from high-resolution bathymetry and in-situ imagery from a deep-towed camera. Comptes Rendus Géoscience 354, doi:10.5802/crgeos.175
[4] Masquelet C, Leroy S, Delescluse M, Chamot-Rooke N, Thinon I, Lemoine A, et al., 2022. The East-Mayotte new volcano in the Comoros Archipelago: structure and timing of magmatic phases inferred from seismic reflection data. Comptes Rendus Géoscience 354, doi:10.5802/crgeos.154
[5] Berthod C, Komorowski JC, Gurioli L, Médard E, Bachèlery P, Besson P, et al., 2022. Temporal magmatic evolution of the Fani Maoré submarine eruption 50 km east of Mayotte revealed by in situ sampling and petrological monitoring. Comptes Rendus Géoscience 354, doi:10.5802/crgeos.155